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Violences politiques -GUINEE-

22 novembre 2009 7 22 /11 /novembre /2009 12:06

 
Le couperet vient de tomber à Ouagadougou ce vendredi 20 novembre 2009, plus tranchant que jamais, comme pour exterminer les représentants des Forces vives de Guinée, pourtant les seuls corps organisés, les seuls détenteurs de la légalité et de la légitimité, face à une junte criminelle et aux abois.

  C’est en ce jour que le prétendu « médiateur » Blaise Compaoré  a livré  sa « synthèse » à la fois très attendue et redoutée : un projet d’accord politique global sur la crise en Guinée. De quoi s’agit-il ?  


1. Les origines et les fondements de la médiation
 

Chacun se souvient de la répression sanglante, des massacres  à grande échelle et des viols collectifs commis le 28 septembre à ciel ouvert durant de longues heures dans l’enceinte du Stade à Conakry. Ces crimes ont été commis au vu et au su de tous, par les proches du capitaine Moussa Dadis Camara, Chef suprême des armées,  en particulier les Bérets rouges et les troupes du BATA. Ces actes de la plus haute barbarie ont soulevé une indignation sans précédent parmi les populations guinéennes et à l’extérieur. Les condamnations les plus vives ont été prononcées tant par les dirigeants occidentaux qu’africains, que par tous les citoyens épris de paix, de justice et de démocratie dans le monde.  


A la suite des massacres, le Groupe international de contact sur la Guinée (GIC-G)  s’est réuni le 12 octobre 2009 à Abuja au siège de la CEDEAO. Après avoir entendu l’exposé des Forces vives, il a adopté la feuille de route pour la sortie de crise qui consiste notamment : «  (à) la mise en place de nouvelles autorités de la Transition, sur la base du retrait du CNDD » afin de « favoriser une Transition apaisée de courte durée au cours de laquelle seront organisées des élections crédibles et transparentes ».


Le 15 octobre à Addis Abeba, le Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine a réitéré  décision du 17 septembre 2009 d’imposer des sanctions à l’encontre du CNDD et de son Président si « d’ici le 17 octobre 2009, Moussa Dadis Camara ne confirme pas par écrit qu’il se sera pas candidat à la prochaine présidentielle en Guinée ».


Le 17 octobre 2009, la CEDEAO s’est réunie à son tour en Sommet extraordinaire et a exhorté le médiateur : à « mettre en place une nouvelle autorité de Transition pour assurer une transition courte et pacifique vers l’ordre constitutionnel par des élections libres, crédibles et transparentes », ainsi qu’à s’assurer que « ni le Président, ni les membres du CNDD ni le Premier Ministre et autres autorités civiles et militaires  ne seront candidats  aux prochaines élections présidentielles ». De plus, la CEDEAO  a décidé d’imposer un embargo sur les armes.


Le 29 octobre, n’ayant reçu aucune confirmation écrite du capitaine Camara, le Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine a pris, comme prévu, des sanctions ciblées contre la junte et les dirigeants au pouvoir à Conakry. 
 

Entre-temps, la communauté internationale dont l’ONU, l’Union Européenne, les partenaires bilatéraux et multilatéraux de la Guinée ont condamné solennellement les massacres, ont suspendu leur coopération militaire, demandé le départ de la junte, exigé une enquête internationale et indépendante sur les tueries, les viols et exactions des forces armées à l’encontre des populations civiles. Le Procureur de la Cour Pénale Internationale a confirmé que la situation en Guinée fait l’objet d’un « examen préliminaire ».  C’est dans ce contexte que Blaise Compaoré a été nommé médiateur et mandaté par la CEDEAO.  


2. Les prémices de la médiation et les premiers signes d’inquiétude
 

Une semaine après les événements, le 5 octobre, Blaise Compaoré s’est rendu à Conakry où il a rencontré les deux parties. A cette occasion, les Forces vives lui ont adressé un Mémorandum dans lequel elles demandaient  notamment  « la dissolution du CNDD et la mise en place d’un organe de Transition ». Le 12 octobre à Abuja, devant le GIC-G, les Forces vives ont demandé « une claire définition des objectifs de la mission de facilitation » afin de ne pas être embarquées dans l’inconnu. Elles ont réaffirmé leur « rejet de toute négociation politique  avec la junte militaire qui s’est totalement disqualifiée ». 


Ensuite, dans un premier temps, Blaise Compaoré a rencontré les Forces vives à Ouagadougou, les 3 et 4 novembre 2009. Ces dernières lui ont remis un Document de référence dans lequel elles définissent l’architecture de la future Transition. Elles maintiennent leurs exigences : la dissolution du CNDD, le départ de la junte et de son Président ; la non candidature du capitaine Camara.
 


Dans un second temps, le médiateur a invité la délégation du CNDD dans la capitale burkinabé les 10 et 11 novembre 2009. Les représentants de la junte campent sur leurs positions et réaffirment leur volonté de maintenir le capitaine Camara à la tête de la Transition. Quant à la question de la candidature, ils ne l’évoquent pas… laissant le soin à Blaise Compaoré d’examiner ce problème !
 


Les premiers signes d’inquiétude ne tardent pas. Au sortir de ces deux réunions, le médiateur se dit « satisfait » d’avoir réuni les propositions  des uns et des autres (comment peut-on l’être dans pareil cas, alors que les plaies restent ouvertes en Guinée) et déclare que les deux parties devront lâcher du lest. Il ajoute que « personne ne doit être exclu ». Ces quelques mots sont immédiatement interprétés par certains observateurs comme une preuve de partialité.

 

3. Trois scénarios possibles 

Avant que le couperet ne tombe en ce jour, trois scénarios se dessinaient :

            - premièrement une Transition avec une autorité civile et consensuelle à sa tête, avec le départ de Moussa Dadis Camara (MDC), la dissolution de la junte ainsi que l’annulation des actes de nomination aux postes de préfets et de gouverneurs : ce serait le « scénario idéal », souhaité par les Forces vives, pour assurer l’organisation d’élections libres, crédibles et transparentes, afin de permettre le retour à l’ordre constitutionnel, réaliser l’alternance et l’avènement de la IIIe République  avec un Président légitimement élu au suffrage universel sur la base de son Projet de société ; mais ce schéma idyllique semble aussi le plus difficile à réaliser voire le plus improbable, compte tenu de la difficulté de faire partir une junte qui dispose de la force armée et qui brandit l’argument de la « souveraineté nationale » ;

            - deuxièmement, une Transition avec une autorité civile et consensuelle mais  flanquée de Moussa Dadis Camara, ce dernier ne disposant que de pouvoirs honorifiques. L’autorité civile serait un Premier Ministre de Transition aux pouvoirs forts (appuyé par un Gouvernement de Transition) qui aurait pour mission fondamentale d’organiser l’élection présidentielle ; les membres de la Transition ne seraient pas candidats. Ce « scénario probable » ou qui apparaissait comme tel, comporte une part de risques pour le retour à l’ordre constitutionnel mais, s’il est bien négocié par le médiateur, et compte tenu des sanctions ainsi que de la pression interne et internationale sur la junte, il peut aboutir. Tout dépend des différents sous-scénarios et du mode de désignation du Premier Ministre : serait-il  choisi par les Forces vives ou par Dadis Camara  et quel serait  le degré d’autonomie de l’autorité de la Transition par rapport au Chef de l’Etat ?

            - troisièmement : une Transition avec une autorité militaire : le capitaine Camara restant à la tête de la Transition et se présentant à l’élection présidentielle. Ce « scénario catastrophe » est le plus redouté par les Forces vives car c’est la négation même de leurs doléances légitimes. Or, c’est celui que Blaise Compaoré a choisi. Le principe de non candidature de Moussa Dadis Camara pourtant unanimement recommandé, en particulier par l’Union africaine, n’apparaît pas. De même, celui d’une nouvelle autorité civile de la Transition, a disparu.   A première vue, c’est l’incompréhension totale. Comment en est-on arrivé à ce retournement de situation en faveur de la junte et de son chef ?  Comment le médiateur a-t-il pu faire d’emblée de telles propositions ? 


Conclusion : disqualifier et dénoncer le médiateur
 
Par ses choix, par un tel comportement, le médiateur vient lui-même de se disqualifier, de se  mettre hors jeu. Les règles de toute médiation sont pourtant sans équivoque: elles exigent la neutralité, la pondération, l’honnêteté.

Or, Blaise Compaoré vient de montrer qu’il n’est pas neutre, qu’il a choisi de prendre fait et cause pour le CNDD et son Président. Il n’est pas non plus arbitre ou pondéré, il offre d’emblée à la junte sur un plateau doré les deux options les plus prisées par elle : le maintien de MDC à la tête de l’Etat et sa candidature à la présidentielle. Mais plus qu’une erreur d’appréciation, de jugement ou d’analyse, Blaise Compaoré vient de commettre une faute lourde en matière de prévention, gestion et résolution d’un conflit. Par essence, la mission de médiateur est aussi  d’œuvrer en faveur de la prévention d’un conflit en Guinée. La crise politique est déjà suffisamment grave pour ne pas avoir à en rajouter, au risque de basculer dans la guerre civile. Il appartient au médiateur de trouver les voies et moyens de conduire le pays sur le chemin de la paix civile en favorisant de vraies élections. Au lieu d’adopter une attitude responsable et juste, Blaise Compaoré s’implique en faveur des bourreaux.  


Ce « médiateur » est-il cynique à ce point ? A-t-il été corrompu ? Est-il guidé  par des forces de l’ombre, économiques ou autres ? Quels sont les intérêts cachés ? On sait que la politique est par essence l’art de gérer les contradictions, mais il y a là une perversion insupportable du politique.
 


Le peuple de Guinée peut-il admettre cette piètre prestation qui le mène à la violence politique et à l’impasse ? S’il fallait tirer une leçon de cette situation, ce serait tout d’abord que Blaise Compaoré n’était pas la personne idéale pour mener cette tâche sensible : il est lui-même arrivé au pouvoir par la force et il s’est toujours appliqué à  faire en sorte que la lumière ne jaillisse pas sur l’assassinat de Thomas Sankara ; en toute honnêteté, il n’est donc pas à la hauteur de l’enjeu. Il ne peut pas, face à la junte, être crédible en demandant à M.D. Camara de partir. N’oublions pas non plus qu’avant la signature des Accords de Ouagadougou en 2007, il ne s’est pas toujours distingué par son sens de la paix en Côte d’Ivoire, bien au contraire. En outre, son rôle de facilitateur au Togo n’a guère fait progresser la démocratie et le respect des droits de l’homme dans ce pays. Avant d’accepter une médiation, sans doute faut-il être plus vigilant sur les capacités et la personnalité du médiateur.  



Par Dominique BANGOURA, Docteur d’Etat en Science politique,
Secrétaire fédéral adjoint du FUDEC France 

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