En ce moment précis, la raison fondamentale de la crise dont la manifestation la plus éloquente était l’enlisement du processus électoral et la rupture du dialogue entre les parties était l’intention manifeste du Capitaine Moussa Dadis Camara de se présenter à l’élection présidentielle prochaine en dépit des engagements solennels pris devant l’opinion nationale et la communauté internationale que ni lui ni un autre membre du CNDD et du Gouvernement ne se porterait candidat à ce scrutin.
En effet, les actes sont nombreux qui attestent de la ferme volonté du Chef de l’Etat de renier ses engagements. On peut citer entre autres :
- la monopolisation totale des médias d'état et l’interdiction d’accès des partis politiques aux radios et à la télévision publiques ;
- l’interdiction des débats et autres émissions politiques dans les médias privés même si cette mesure a été levée depuis, en raison de l'indignation générale qu'elle avait soulevée bau sein de l'opinion ;
- la multiplication des groupes de soutien et l’intensification de la propagande en faveur de la candidature du Chef de l’Etat par la sortie massive de fonds publics et ce, en dépit de la précarité de la situation économique du pays, du non paiement des dettes intérieures de l'Etat et de l’engagement ferme du CNDD à appliquer rigoureusement les règles de bonne gouvernance, surtout en matière de dépenses publiques ;
- la militarisation à outrance de l’appareil de l’Etat, en particulier de l'administration territoriale dont le rôle est prépondérant dans le processus électoral (gouverneurs, préfets, sous-préfets…);
- le recrutement anarchique au sein des forces de défense alors que le Président semblait se préoccuper du caractère pléthorique de l'armée;
- la recrudescence des arrestations arbitraires et des détentions illégales en des lieux non conventionnels (iles de Loos)
D’autre part, l’intention affichée de substituer aux Forces Vives les représentants des collectivités décentralisées procèdait de cette volonté de marginalisation des partis politiques dans le débat politique et dans la gestion de la transition. Or, dans le droit guinéen, les présidents des structures communales et communautaires n'ont aucune vocation à participer à l'élaboration du cadre juridique de la nation ou au choix des candidats aux élections nationales, rôle qui revient de droit et exclusivement aux partis politiques depuis la fondation de la République de Guinée.
La rupture totale du dialogue national et l’interdiction d’accès aux médias d’Etat et aux radios privées des différents courants d’opinion du pays ont amené des franges importantes de la population et en particulier les jeunes, à recourir, devant l’absence de perspectives à des manifestations pacifiques violemment réprimées par les forces de défense et de sécurité. En début Septembre déjà, on déplorait une victime lors des premières confrontations entre les émeutiers et les forces de l’ordre. Ce qui laissait présager des affrontements plus tragiques si l’enlisement du processus de transition était amené à se poursuivre.
Devant les périls qui menacent la paix et la stabilité de la Guinée, le Forum des Forces Vives de Guinée a demandé au Groupe International de Contact sur la Guinée, lors de sa 6eme réunion à Conakry, le 3Septembre dernier, d’intervenir auprès du Chef de l’Etat et du CNDD afin que les dispositions ci-après, de nature à décrisper la situation politique et sociale, soient prises sans délai :
- la révision de l’ordonnance portant création du CNT afin de la rendre conforme aux accords entre le Chef de l’Etat et les Forces Vives, notamment sur sa composition et son effectif
- la mise en place immédiate de cette institution sur la base des accords spécifiés ci-avant
- la levée de l’interdiction d’accès des partis politiques aux médias publics et des débats à caractère politique dans les médias privés
- la levée de l’interdiction des manifestations des partis politiques sur l’ensemble du territoire national à l’instar de la liberté de mouvement dont jouissent pleinement les groupes de soutien à la candidature du Chef de l’Etat ;
- la confirmation publique et formelle de son engagement selon lequel ni lui ni aucun membre du CNDD ou du Gouvernement ne serait candidat à la prochaine élection présidentielle. Cette confirmation est absolument nécessaire pour permettre à la Guinée d'évoluer dans la stabilité.
La réalisation de ces préalables aurait pu faciliter la reprise du dialogue et restaurer entre les Forces vives de la Nation et le CNDD la confiance sans laquelle aucune gestion consensuelle et apaisée de la transition n’est possible.
Malheureusement, lors de sa rencontre à huis clos avec les membres du Groupe International de Contact, le Chef de l'Etat a confirmé la forte probabilité de sa candidature à l'élection présidentielle prochaine mettant ainsi un terme au doute qu'il laissait planer sur ses intentions. Devant ce qu'il a qualifié de "remise en cause des engagements antérieurs du CNDD qui contrevient au partenariat établi avec la communauté internationale", le Groupe de contact a pris la décision de procéder à des consultations en vue de prendre les décisions appropriées par rapport à cette nouvelle réalité.
Le 28 Septembre 2009 à Conakry, des centaines de milliers de nos compatriotes de toutes les communautés, de tous les âges et de toutes les conditions, manifestant pacifiquement dans un stade de football clos contre la dictature militaire et pour le retour à une vie constitutionnelle normale, ont été piégés, brutalisés, humiliés, violentés, violés, poignardés et tués par des escadrons drogués de l'armée. Lors de ces manifestations historiques, nous avons assisté à des scènes d'une barbarie inouïe que rien, sinon la volonté du CNDD de terroriser et soumettre le peuple de Guinée ne justifiait. Des centaines de femmes et de jeunes filles ont été déshabillées, violées, les canons des fusils introduits dans leurs parties intimes, tout ceci publiquement et sous les yeux de la hiérarchie militaire.
Au même moment une manifestation de propagande financée par la junte dans les communes de Kaloum et Matoto pour la gloire du CNDD était protégée et montrée à la télévision.
Depuis le 23 Décembre 2008, le Forum des Forces Vives de Guinée a engagé toutes les démarches pacifiques possibles pour arriver à un consensus pour la conduite d'une transition apaisée. En face, nous n'avons rencontré que mépris, diktat, humiliations, insultes et dérision de la part de la junte du CNDD et de son chef. Les libertés fondamentales ont été graduellement confisquées, les médias mis aux ordres. Dans le même temps, contrairement à leurs premiers engagements publics nous avons assisté à une opération de légalisation du pouvoir militaire. Ceci avec une dilapidation sans précédent des fonds publics. Le Forum des Forces Vives a alors entrepris d'organiser un meeting d'information et de sensibilisation, montrant que le peuple n'acceptait pas l'usurpation du pouvoir par les militaires.
Ce meeting citoyen pouvait simplement éclairer l'opinion publique Guinéenne sur les enjeux des prochains scrutins. Malgré l'appel aux autorités pour sécuriser cette manifestation pacifique, le Forum des Forces Vives de Guinée n'a rencontré que dissuasion ou manœuvres diverses pour l'annuler. Au lieu de protéger les lieux sensibles le CNDD a infiltré des casseurs qui ont été responsables de tous les dégâts constatés, notamment ceux concernant les commissariats saccagés. Ceci dans l'objectif de discréditer l'ensemble des leaders politiques du Forum, dont les différents domiciles ont été mis à sac et pillés par les militaires.
Aujourd'hui, le dialogue est totalement rompu entre le CNDD d'une part, les Forces Vives et la Communauté Internationale, de l'autre. La transition est donc dans l'impasse et le processus électoral compromis. De plus, les évènements tragiques du 28 Septembre 2009, qui ont vu plus de 200 guinéens tomber sous les balles des militaires avec plus de 1200 blessées, des dizaines de femmes violées publiquement ont creusé davantage le fossé entre les deux parties.
Le dialogue interne est devenu impossible.
Devant la gravité de la situation, nos exigences se résument aux suivants:
1 – Libération immédiate et sans condition des détenus encore entre les mains des forces de défense et de sécurité;
2 – Recensement exhaustifs des disparus;
3 – Restitution de tous les corps à leurs familles;
4 – Libération immédiate des femmes violées et séquestrée;
5 – Mise en place immédiate d'une commission d'enquête internationale et traduction des auteurs et commanditaires des crimes devant le TPI;
6 – Sécurisation de la population civile, des leaders politiques et sociaux, ainsi que des diplomates accrédités en Guinée.
7 – Fermeture des camps d'entraînements des miliciens à caractère ethnique, notamment à Kaléah dans la préfecture de Forécariah;
8 – Expulsion des éléments libériens de l'ULIMO de tous les autres rebelles venant des pays voisins et mercenaires présents sur le territoire Guinéen;
9 – Poursuites judiciaires à l'encontre des marchands d'armes, dont Rodha Fawaz, Hussein Dakhlala, qui contribuent à la formation et à l'équipement de milices à caractère ethnique. Ces entrainements sont financés, entre autres, par une société minière implantée en Guinée.
10 – Fermeture immédiate des lieux de détention non conventionnels: Kassa, Koundara etc...
11 – Envoi d'une aide humanitaire d'urgence pour assister les populations en détresse;
12 – Déploiement d'une force de protection par l'envoi urgent d'un corps expéditionnaire ;
13 – Compte tenu de sa disqualification de fait, destitution du chef de l'état, dissolution du CNDD et mise en place d'un organe de transition, qui désignera un gouvernement d'union nationale;
14 – Embargo total sur les armes et équipements militaires à destination de la Guinée jusqu'à la restructuration complète des forces de défense et de sécurité.
15 – Envoi d'une assistance urgente pour la restructuration des forces de défense et de sécurité;
Si la Guinée n'arrive pas à trouver les voies et moyens de relancer la transition sur des bases claires, la paix civile sera irrémédiablement compromise. En plus, l'instabilité de la Guinée plongera fatalement l'ensemble de la sous-région ouest-africaine dans la désolation et l'instabilité.
L'ensemble des Forces politiques et sociales de la Guinée ainsi que la communauté internationale doivent anticiper sur ces évènements et prendre leurs responsabilités avant qu'il ne soit trop tard.
Le Forum des Forces Vives quant à lui est déterminé à assumer ses responsabilisé en mobilisant le Peuple de Guinée pour empêcher toute confiscation du pouvoir par la junte militaire.
La facilitation initiée par la CEDEAO et conduite par son Excellence le Président Blaise Compaoré suscite un grand espoir pour aider la Guinée à retrouver la voie de la démocratie et du progrès économique.
Conakry le 5 Octobre 2009
Le Forum des Forces Vives de Guinée