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Violences politiques -GUINEE-

4 février 2010 4 04 /02 /février /2010 06:52


Depuis le premier février, le torchon brûle entre le ministre chargé de la Lutte Antidrogue et le Grand Banditisme, le lieutenant-colonel Tiégboro et Doura Chérif, le premier président de la Cour d'Appel de Conakry à propos de la libération supposée des ressortissants chinois auxquels l'on reprocherait la contrefaction de produits pharmaceutiques. Devant le tollé que suscite cette affaire, Guinéenews© est allé rencontrer le magistrat qui nous fait part ici de sa part de vérité. Lisez !

Guinéenews© : Le 1er février dernier, des informations faisaient état de votre « convocation » par le ministre Tiégboro chargé de la lutte Anti drogue et du grand banditisme. Une convocation à laquelle vous n’avez pas répondu. Dites-nous les raisons de cette convocation et les raisons de votre refus d’y répondre ?

Doura Chérif :
Effectivement monsieur le ministre Tiégboro m’a convoqué le 1er février à ses services et j’ai refusé de répondre à cette convocation. Parce qu’elle n’est pas du tout de droit. Je ne sais pas de quelle autorité il peut se permettre de convoquer un magistrat, a priori un président de la Cour. Je ne vois pas la relation qu’il y a entre nous pour qu’il se permette de pareil comportement. Je crois que c’est le genre de choses qui doit cesser dans ce pays. Parce que la superposition des autorités ne signifie pas leur suppression. Non. La Cour d’Appel relève de la Cour Suprême de la République de Guinée. La Cour d’Appel fait partie du pouvoir judiciaire. Je ne vois pas comment Tiégboro qui fait d’ailleurs office d’officier de police judiciaire, qui procède à des arrestations, qui défère les gens devant la justice, peut se permettre de convoquer un magistrat, même pas un président de la Cour d’Appel. Ce n’est pas normal. Donc, moi je n’ai pas accepté de répondre à cette convocation. Et pour ces raisons, parce qu’il faut que l’État de droit soit une réalité en Guinée. Il faut que l’on apprenne à se respecter dans les Institutions. Je ne sais pas de quel droit Tiégboro peut se permettre de me convoquer.

Guinéenews© : Au-delà de ce vice de forme dont vous faites allusion, est-ce que dans la convocation il ne vous a rien signifié en ce qui concerne son motif réel ?

Doura Chérif :
Il m’a dit invitation : Doura Chérif, le premier président de la Cour d’Appel est invité à se présenter à son ministère pour affaire le concernant. J’ai compris. C’est d’abord le Substitut du Procureur général qu’il a envoyé chercher un dossier de justice avec moi. Parce que tout simplement la Cour a rendu une décision de justice. J’ai compris et j’ai été informé qu’il m’envoyait une convocation pour que j’y réponde. Lorsque lui-même m’a appelé au téléphone pour me demander si je n’aurais pas reçu sa lettre d’invitation et puis que je n’étais pas à un banquet, je ne vois pas comment il pouvait m’inviter. Je lui ai demandé pourquoi ? Il m’a dit qu’il voulait qu’on s’entretienne. Je lui ai demandé autour de quoi ? Alors qu’il vienne à mon bureau s’il veut m’entretenir. Mais, on ne vient pas prendre le Substitut général avec un dossier et demander après au premier président de se présenter. Je refuse.

Guinéenews© : De quel dossier s’agit-il ?

Doura Chérif :
C’est le dossier concernant des Chinois qui sont poursuivis devant les tribunaux guinéens pour contrefaction de produits pharmaceutiques. La Cour a pris une décision de reformation, de requalification et a renvoyé l’affaire à ce mercredi 3 février. En plaçant les inculpés sous contrôle judiciaire, sous la responsabilité de l’ambassade de la Chine en Guinée et en convoquant toutes les parties. Parce qu’il y a des Guinéens là-dedans, il y a des Chinois. Des Guinéens qui ont été libérés par fantaisie, des scellés qui n’ont jamais été présentés : 14 machines qui ont été prises par les services de Tiégboro ; une voiture qui a été prise, des bijoux qui, dit-on, ont été prises par ses services… Nous avons demandé que tout cela soit représenté et que l’audience se tienne ce mercredi 3 février. Et voilà ce qui a choqué peut-être Monsieur le ministre chargé de la répression du grand banditisme. Mais là, la justice, ce n’est pas le banditisme. Nous voulons voir clair dans ce dossier et aucun aspect ne doit nous échapper. C’est pour cela que nous avons renvoyé l’affaire à ce mercredi 3 février pour qu’elle soit examinée sur tous ses aspects.

Guinéenews© : Il y a aujourd’hui une véritable confusion qui règne dans l’esprit des gens autour de ce dossier. Le ministre affirme que les Chinois lui auraient proposé contre leur libération une forte somme en Dollars, cent cinquante mille dollars US (150.000 USD) qu’il a refusés. Et il se dit étonné de les voir en ‘’liberté’’, sans même qu’il en soit tenu informé. Alors, vous qui êtes le premier président de la Cour, est-il vrai que ces Chinois sont élargis ou quel est leur sort aujourd’hui ?

Doura Chérif :
Les Chinois ne sont pas relaxés. Cela, je vous dis qu’ils ne sont pas du tout relaxés. Ils sont placés sous contrôle judiciaire. Parce que beaucoup de conditions de leur détention à la prison civile ne sont pas réunies. Mais, nous voulons que la Guinée soit un État de droit. Nous voulons éviter la barbarie, la violence, la haine et le mépris… Nous voulons justement éviter la corruption. Nous voulons que lorsqu’un officier de police judiciaire a saisi des biens sur une personne que ces biens saisis soient mis à la disposition de la justice. Cette fois, je suis obligé de sortir de ma réserve de magistrat de siège pour expliquer… Parce que trop c’est trop.

Nous avons dit que tous ceux qui avaient été pris, saisis chez les Chinois, il faut les présenter à la justice. On a parlé de 14 machines, 1 voiture Volsvagen, de l’or saisi et plusieurs autres choses. Alors, qu’on nous envoie toutes ces choses. Nous devons y voir ce qui est qui est clair. C’est cela notre mission, notre rôle. De toute façon, si c’est les services de Tiégboro qui ont déféré les gens, si ce sont eux qui ont procédé à ces arrestations, alors, je ne vois pas comment ils peuvent poursuivre le dossier devant les juridictions pour imposer leur volonté. Non, il faut que la Guinée change. Il faut qu’elle soit un État de droit, il faut que la loi s’applique, il faut que la règle du droit s’applique, il faut que nous bâtissions un État moderne.

Guinéenews© : Dans ce dossier, il y a combien de Guinéens et de Chinois ?

Doura Chérif :
Je ne veux pas rentrer dans les détails du dossier. Les détails se feront à la barre. Ce qu’il faut que vous compreniez, c’est qu’ils ne sont pas libérés. Ils sont placés sous contrôle judiciaire et pour que les conditions que nous avons dites soient réunies. Maintenant, si lui Tiégboro, il a reçu cent cinquante mille dollars (150.000 USD)… La Cour n’a pas reçu aucun franc. Au titre de la corruption, je ne sais pas quel est le magistrat qui a été corrompu. Alors, que Tiégboro rapporte la preuve qu’un magistrat a été corrompu. Et la loi va s’appliquer là aussi. Voilà.

Guinéenews© : Que pensez-vous vous de l’attitude du ministre Tiégboro ?

Doura Chérif :
Je suis vraiment surpris de constater qu’en ce moment un membre du CNDD, une autorité de ce pays, un ministre de la République ait des attitudes de cette nature à un moment où franchement nous devons tous aller vers la paix. Qu’un ministre de la République se comporte de cette façon pour troubler la paix, moi je suis surpris. Je souhaite qu’il comprenne que nous n’avons aucune animosité contre lui mais que nous voulons faire appliquer la loi. C’est tout.

Guinéenews© : Au-delà de ce dossier judiciaire, est-ce que l’on ne s’achemine pas vers un bras de fer entre institutions guinéennes ?

Doura Chérif :
De toute façon, nous éviterons ce bras de fer entre institutions. Après ce que le général Konaté vient de faire, ce qu’il vient de dire dans son discours d’apaisement au moment où la Guinée cherche à sortir d’une crise, nous éviterons d’être à la base de troubles. Mais, nous respecterons la loi. Nous nous plaindrons là où il faut se plaindre. Nous sommes prêts à rencontrer le général Sékouba Konaté pour lui donner les explications. Nous sommes prêts à rencontrer le CNDD pour lui donner des explications. Nous sommes prêts à rencontrer le ministre de la Justice pour lui donner des explications ainsi que le premier ministre. Nous ne voulons pas de troubles. Nous voulons simplement que les institutions se respectent. Parce que jusqu’à présent je ne vois pas comment Tiégboro peut se permettre de me convoquer. Et s’il convoquait un autre magistrat au sein de la Cour d’Appel relevant du ressort judiciaire de la Cour d’Appel de Conakry, je m’y opposerais. Parce que ce n’est pas de droit. Ce n’est pas conforme à la loi, ce n’est pas dans ses attributions, dans son autorité.

Guinéenews© : La Cour d’Appel relevant de la Cour Suprême n’a pas d’ordre à recevoir d’une autre institution ?

Doura Chérif :
Pas du tout. Le juge rend compte à la loi et à sa conscience. Nous n’avons pas violé la loi. Les Chinois ne sont pas libérés. Il faut que cela se comprenne. Bien au contraire, nous voulons faire un travail qui permettra de mettre à nu le rôle de chacun de ceux qui ont participé à ce dossier. De tous ceux qui ont participé à l’examen de ce dossier, à sa constitution… Nous voulons avoir toutes les preuves. Nous ne voulons pas qu’un coupable échappe. C’est pour cela que nous avons demandé que l’affaire soit renvoyée à ce mercredi pour que toutes les conditions soient examinées.

Guinéenews© : Vous avez donc l’impression que les risques d’insubordination à l’encontre de votre personne ne sont pas aussi évidents ?

Doura Chérif :
Il n’y a pas de subordination entre le ministre chargé de la Répression du grand banditisme et moi. Donc, il n’y a pas d’insubordination. La justice doit être indépendante. Tant que la justice guinéenne n’est pas indépendante, nous nous heurterons à des attitudes comme celles-là. Tant que la justice guinéenne n’est pas indépendante, nous ne pourrons pas nous prévaloir d’être un État de droit. Tant que la justice guinéenne ne sera pas indépendante, les investisseurs ne nous feront pas confiance. Tant que la justice guinéenne ne sera pas indépendante, nous ne récupérons pas notre place dans l’arène des nations civilisées. Dans le concert des nations, nous voulons créer une place de choix pour la Guinée. Nous voulons que tout ce qui s’est passé dans ce pays et qui n’a été apprécié par aucun Guinéen, ne recommence plus. Pour cela, il faut une justice forte et indépendante.


Interview réalisée par Camara Amara Moro.

Régardez Tiegboro Camara

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